Nous avons enquêté pendant des mois et documenté au maximum les conditions de détention auxquelles Gilbert (alias Yeuk) Bauer contraint Baby, éléphante qu’il exploite depuis plus de trente ans, pour les dénoncer et la sortir de cet enfer ! Mais pour obtenir une saisie, et pouvoir la placer dans un sanctuaire, la justice et les autorités nous demandent toujours plus de preuves de ce que nous avançons. Les infractions, les rapports… rien ne semble jamais suffire. Alors voici le compte rendu d’un an d’investigation assidue, au cours de laquelle nous avons traversé la France pour suivre Baby jusqu’aux premiers jours du confinement. Entre filatures, planques et quinze années de suivi et de signalements…
Depuis notre rencontre il y a plus de quinze ans alors qu’elle était exhibée aux côtés de Micha, Bony et Glasha, nous suivons Baby. Depuis sa capture au Kenya quand elle avait à peine deux ans et le massacre certain de sa famille, elle est traînée de force de cirques en parcs animaliers, sous des chapiteaux, dans des foires, des fêtes de village, des publicités, des émissions de télévision, des reconstitutions historiques, des films…
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Elle est contrainte d’obéir, sous peine de recevoir des coups d’ankus ou d’être privée de repas… Pire : elle s’exécute docilement, car sortir du camion, son cachot, est malgré tout un soulagement, ne serait-ce que pour quelques pas. Au moins peut-elle, l’espace de quelques minutes, sentir le grand air circuler autour de son corps engourdi… Même si cela veut dire aussi qu’il faut effectuer des contorsions douloureuses sous un chapiteau bruyant.
Voilà à quoi se réduiront sa vie et son avenir si nous ne faisons rien. Car nous avons fait le calcul : Baby passe 96 % de la journée dans le camion lors des représentations, et 100 % les autres jours. Ce camion qui lui permet à peine de tourner sur elle-même.
D’avril à novembre 2019, quand « liberté » rime avec cachot
Depuis notre dernière procédure, nous avons voulu montrer au plus grand nombre le calvaire qu’est la vie de Baby. À deux pas du Parc Saint Paul, où Kid Bauer exhibe aussi ses bébés félins, et du village où sont détenus les dix tigres de Mario Masson, Baby a souffert des mois durant.
En avril, mai, août et septembre, nos enquêteurs se rendent au Parc Saint Léger de Kid Bauer, d’où ils reviennent atterrés : en alternance avec les tigres et les bébés photographiés avec le public, Baby fait également partie du programme pour la saison d’ouverture, à raison d’un spectacle d’une heure par jour, quand le parc est ouvert. Prévu fin juin 2019 à près de 1000 km de ce parc, le numéro de dressage de Baby dans une fête antique sera annulé grâce à la mobilisation de défenseurs des animaux sous l’impulsion de Code Animal.
Sur le plan du parc figure l’enclos de l’éléphante. Sur place, cependant, on n’y trouve qu’un terrain en friche, délimité par un fil mal accroché aux arbres, à la lisière de la forêt. Le dépliant stipule qu’elle se balade « en liberté » dans le parc, où il est possible de la voir après le spectacle. Et en effet, après le spectacle, Gilbert Bauer marche quelques minutes, Baby casse des branches à ses côtés, c’est l’illusion de la liberté. Il est possible de s’approcher d’elle. Aucun dispositif de sécurité n’est prévu. Seule la présence du dresseur semble suffire aux autorités…
Pendant plusieurs mois, le danger au quotidien !
… puis Gilbert l’éloigne des regards, le public se disperse. Et il lui fait quitter le parc. En traversant la nationale. Sans protection. Ni pour elle – qui peut se faire renverser par une voiture ou un camion sur cette route très fréquentée située à la sortie d’une voie rapide – ni pour les automobilistes susceptibles d’effrayer l’éléphante et de mettre les visiteurs du parc (ou eux-mêmes) en danger.
Car bien que Baby se déplace au ralenti, bien que son corps soit maigre et décharné, et à première vue soumise, elle reste un animal sauvage de plusieurs tonnes et représente donc un danger potentiel.
En janvier dernier, elle a d’ailleurs bousculé des gens en Espagne, et il s’en est fallu de peu qu’il n’y ait des blessés graves. Généralement, en cas d’accident, ce sont les animaux qui le payent de leur vie.
Des jours et des jours de planque derrière le camion
Sa liberté s’arrête là : même dans ce parc animalier, tout n’est que paillettes et faux-semblants ! En sept mois, jamais elle n’a mis les pieds dans « l’enclos de l’éléphant ». Car tandis que le parc promet monts et merveilles, nous qui avons planqué des jours durant en bordure de leur propriété avons pu constater le quotidien réel de Baby. De l’autre côté de la route, la pauvre éléphante aux pieds fragiles reste confinée dans le camion qui lui sert de cachot.
Quand le parc n’ouvre pas – autrement dit tous les jours sauf le week-end et les vacances scolaires – ou quand la représentation est annulée, faute de clients ou si le temps ne s’y prête pas, Baby ne sort pas non plus. Tout au plus Gilbert Bauer ouvre-t-il l’un des battants arrière du camion pour qu’elle ait un peu de lumière et d’air. Mais elle n’a même pas le droit de se dégourdir les jambes. Et n’ayant accès à de l’eau pour s’abreuver que le temps du nettoyage le matin et le soir, elle passe les jours de pluie à tâtonner du bout de la trompe le toit du camion, pour boire. Le reste du temps, elle tourne sur elle-même lentement, en veillant à ne pas se cogner aux parois, ou se balance de droite à gauche, comme le font tous les animaux sauvages captifs pour exprimer leur souffrance.
En décembre, le parc ferme avant la date prévue et Baby disparaît : plus de traces de la remorque. Joint par téléphone, le parc affirme que l’an prochain aucun spectacle ne mettra à l’affiche d’animaux sauvages, à la suite des remarques répétées des clients et de « la pression des associations de défense des animaux ». Pourtant en cette fin février 2020, le camion et la caravane du couple Bauer sont de retour sur place…
Aller à Aubevoye, le 11 mars en urgence
Alors que nous sommes sur le point de nous assurer de la présence de Baby sur le parc, on nous contacte en urgence le 11 mars pour nous rendre au Cirque de Paris afin de déterminer quelle est l’éléphante faisant partie du spectacle à Aubevoye, près de Gaillon. Serait-ce Dumba, « louée » à plusieurs reprises par ce cirque ? Sur la piste, pas de doute: c’est Baby ! Elle s’exécute sous le regard des spectateurs, inconscients de son malheur et du danger: ils sont en effet nombreux à se prendre en photo auprès d’elle pendant l’entracte ou à la suivre après le spectacle jusqu’à la remorque.
Plusieurs jours de suite, Baby restera confinée à l’intérieur du camion. Et comme toujours, elle ne sera autorisée à marcher qu’une fois dans la journée hors de sa boîte en tôle pour… se rendre sous le chapiteau. Enfermement et soumission, même refrain, ad nauseam.
Filature mouvementée au début du confinement !
En ce 16 mars, le cirque se prépare à lever le camp. Pour ne pas perdre la trace de Baby et afin de savoir où elle sera pendant le confinement, dont on ne connaît pas encore l’ampleur, nous organisons la filature du camion en urgence. Des heures durant, Baby est ainsi ballottée à l’intérieur de la remorque. Le convoi finit par s’arrêter à la nuit tombée près de Vierzon sur un terrain de cirque. Un nouvel emplacement ? La filature doit-elle se poursuivre le lendemain ? Des attestations doivent désormais être produites pour justifier de nos déplacements… Choix est fait de rester à proximité, au moins jusqu’au lendemain, tant que cela est possible. Au petit matin, le convoi repart. Après quelques heures de route, arrêtés pour contrôle, nous perdons le camion de vue. Nous finissons par le retrouver, et le suivons jusqu’à son arrivée sur une propriété dans le Sud de la France… Le camion remorque est parqué en face d’un hangar. Jusqu’à notre départ, Baby n’en sortira pas.